Le pouvoir de la paresse

“ Pourquoi faire aujourd'hui ce que l'on peut remettre à demain ? ” Voilà une maxime qui évoque la douce tentation de la paresse.

Productivité, rentabilité, efficacité… Dans la société moderne, où l’activité incessante est souvent valorisée, la paresse peut être perçue positivement comme négativement. Dans le premier cas, elle est un luxe dont peu de gens peuvent jouir. Dans le deuxième cas, elle est assimilée à de l’oisiveté, stérile et improductive, voire pathologique quand « un baobab pousse dans la main ».

Mais qu'en est-il vraiment ? La paresse est-elle seulement un fléau à bannir ou recèle-t-elle des secrets inavouables en société ou en entreprise ?

L'impératif sociétal de l'hyperactivité

Dans un monde trépidant, la productivité est devenue la norme de nos sociétés et de nos entreprises. Nous semblons être conditionnés à croire que chaque minute doit être consacrée à une activité productive et que l’inactivité est inacceptable. On voudrait qu’à l’instar d’un investissement, une minute génère du profit.

Mais ce n’est pas nouveau. Dans certaines cultures et philosophies, la valeur d’un individu est mesurée à sa capacité à produire, travailler, s’éduquer ou encore à être discipliné. Il y est dit que "l'oisiveté est la mère de tous les vices". La Révolution industrielle a, elle, profondément imprégné les esprits de l'impératif productiviste.

Cependant, cette obsession de l'activité constante a des conséquences. Elle engendre du stress, de l'épuisement et une déconnexion avec nos besoins fondamentaux. La récente pandémie, avec les confinements et ralentissements qu'elle a imposés, nous a offert une pause, une occasion de réaliser que de nombreuses activités (tâches, réunions, habitudes…) n'étaient pas essentielles. Cette prise de conscience a conduit nombre d’entre nous à remettre en question leurs engagements professionnels, menant à ce que l'on a nommé la "grande démission" et à une recherche de sens dans le travail.

Mais loin d'être qu’une simple posture de fainéant, la paresse peut produire des bénéfices pour nos entreprises et notre bien-être.

La paresse, source de régénération et de créativité

Ces instants de répit mental sont propices à la méditation, la contemplation ou simplement la relaxation. Ils rechargent nos batteries mentales et physiques. De plus, ces moments de paresse stimulent notre créativité.

En effet, lorsque nous marquons une pause dans un quotidien ultra-chargé, nous prenons du recul par rapport à une situation ou un problème. Loin d’être à l’arrêt complet, notre esprit continue souvent à travailler en arrière-plan. C’est une forme de processus d’incubation qui peut conduire à des solutions nouvelles ou même à des fulgurances !

Hors emprise du stress, nous pouvons nous reconnecter à nous-mêmes et alors explorer les possibles avec une perspective authentique, personnelle - nos idées, nos désirs, nos curiosités - et donc unique. À l’extrême, notre esprit vagabonde, divague, emprunte des voies originales et crée des mash-ups inattendus de concepts et d’idées.

Aristote considérait que ces moments de vie contemplative étaient supérieurs à ceux des activités nécessaires et vitales. S'accorder des moments de repos peut non seulement améliorer notre bien-être, mais aussi enrichir nos pensées et notre travail.

Adopter la paresse de manière stratégique

Il est essentiel de repenser notre relation à l’activité constante et à la paresse pour trouver un équilibre propre et salvateur. Il convient pour cela de savoir identifier ses besoins :

  • Besoin de repos physique (ex : paupières lourdes, tensions musculaires)

  • Besoin de repos mental (ex : surcharge d’informations, manque de clarté)

  • Besoin de prendre du recul (ex : incapacité à avancer ou trouver des solutions)

  • Besoin de pause sociale (ex : irritabilité, envie de solitude)

  • Besoin de stimulation créative (ex : sentiment que le « disc est rayé »)

  • Besoin de connexion avec la nature (ex : sentiment d’enfermement)

Dans le cadre professionnel, nous persistons dans l’action, nous résistons à la paresse mais cela ne fait qu’exacerber le besoin qui s’exprime pour nous en indiquer la nécessité. Nous pouvons faire autrement ! Régler les urgences, gérer la vraie to-do mais une fois le travail accompli ou face à des problèmes complexes ou des situations nouvelles, profiter d’une pause reposante et constructive. Lâcher prise un instant puis revenir à l’action !

Pour prendre de la hauteur ou pour définir une nouvelle stratégie, il est tout à fait conseillé de s’extraire du quotidien, du lieu de travail. Journée au vert, offsite de direction, retraite spirituelle en équipe… sont autant d’occasions de repositionner le curseur de l’activité pour laisser place à une paresse fertile. En effet, ces occasions offrent à leurs participants des moments de partage et de silence, d’action et de pure oisiveté, de réflexion et de lâcher prise.

Pour ma part, mes journées sont rythmées par :

  • la production de ce qui doit être fait (mes priorités ou sujets nécessitant un effort intellectuel important) dans la concentration la plus absolue, généralement tôt le matin ou en toute fin de journée, quand la vie retrouve son calme…

  • les interactions et meetings en journée

  • des coupures plusieurs fois par jour pour nourrir ma curiosité à travers la lecture ou l’expérimentation de nouveaux outils, tous azimuts

  • des moments de répit, sans téléphone ni contacts, le plus souvent à midi

Les moments qui sont les plus utiles à mon travail sont ceux durant lesquels mon esprit papillonne d’un site à l’autre, d’un auteur à l’autre, d’un magazine à l’autre… dans une forme de chaos, à la recherche – non guidée ni tout à fait volontaire – de lumière. Je ne suis pas dans l’action, je suis dans un état de rêverie, de flânerie. C’est là que, sans le savoir, je capte les tendances, questionne l’ordre établi ou transpose des idées pour mon activité et celle de mes clients !

Définir des plages de travail et de repos est un premier pas. Mais aujourd’hui plus que jamais, il me semble important d’intégrer la paresse comme une source de bien-être d’une part et de productivité au travail d’autre part. En reconnaissant sa valeur et en la plaçant judicieusement dans notre vie, nous pouvons créer un équilibre sain entre productivité et improductivité consciente.

L’image de César allongé sur une méridienne dégustant des grains de raisin est plus une représentation romantique qu'une réalité qui l’aurait empêché d’être un homme d’État reconnu et énergique. Alors, si le secret d'une vie plus riche résidait dans notre capacité à embrasser et valoriser nos moments de pure oisiveté ?

_ Zahra Gaudin Tajmouati

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